Sémiologie


Repensant à l'article où je parlais de sens, de formes et de pentes, je me rappelais d'un livre, acheté il y a longtemps et jamais lu, qui devait trainer quelque part sur une étagère. "Le fondement de la sémiologie de la musique" écrit par Jean Jacques Nattiez en 1975. Sitôt trouvé, sitôt lu, enfin pas tout parce c'est écrit petit.
La sémiologie (ou sémiotique) est la science qui étudie les mécanismes qui font qu'un évènement ou une chose "prenne sens" pour une personne. La sémiologie est, pendant un temps, restée liée à la linguistique (Voir les travaux de Ferdinand de Saussure) pour s'en détacher peu à peu et devenir finalement automone. Si le langage, la langue et la parole restent un lieu privilégié pour la sémiologie tout ce qui "donne" ou "prend" du sens peut être étudie par cette science. On parle de sémiologie de l'image, de la musique... Les publicitaires et les communicants en général usent et abusent des mécanismes ainsi trouvés pour mieux convaincre ou manipuler.
Voici quelques liens pour en savoir plus :
- Sémiologie de la musique
- Jean Jacques Nattiez

Je ne vais pas vous faire un cours sur la sémiologie de la musique, mais essayer de tirer de cette science les éléments qui m'intéressent.

La tripartition
La musique est à priori un système de communication complexe où s'entremèlent un certain nombre d'éléments: Le compositeur, l'auditeur, l'oeuvre, le moment de l'écoute, la culture musicale, les interprètes... Le compositeur et les auditeurs ont leurs histoires, leurs affects, chaque auditeur a une perception différente de l'oeuvre et comment savoir si les émotions transmises par le compositeur à l'Oeuvre puis aux auditeurs sont bien celles que les auditeurs ont ressenties ? C'est le problème de toute communication, l'interactionalité est tellement forte qu'il faut dans un premier temps dégager les éléments structurants du système. JJ Nattiez propose le schéma suivant où 3 éléments (tripartition) sont mis en évidence :

Le créateur, l'oeuvre, l'auditeur

Il y a donc le créateur, l'oeuvre et l'auditeur. La relation liant le créateur à l'oeuvre est l'acte de production (poïétique) et celle reliant l'auditeur à cette même oeuvre est le fait de percevoir (esthésique). L'oeuvre est le niveau neutre, obsersée comme un simple phénomène physique. Elle n'est rien par elle même, elle n'est qu'un support (construit par le créateur) à partir duquel l'auditeur va se construire des émotions et un avis. Au moment où on l'écoute, l'oeuvre ne peut plus subir aucune influence, elle est ce qu'elle est, neutre, ne contenant aucune information. C'est la relation que l'auditeur aura avec elle qui va créé du sens et ce sens sera différent d'un jour à l'autre et d'un individu à l'autre.
Il arrive parfois lorsqu'on met un CD de se dire au 2ième morceau : "Oh et puis non, je n'ai pas envie d'écouter cela...". C'est bien la preuve que le plaisir qu'on avait éprouvé la veille n'est pas dans l'oeuvre elle-même puisqu'on ne l'y retrouve plus le lendemain et qu'on le retrouvera peut-être lors d'une prochaine écoute. Si ce plaisir n'est pas dans l'oeuvre c'est qu'il est construit par l'auditeur à partir de stimuli générer par l'oeuvre. Mais ces stimuli auditifs sont insuffisants pour expliquer cette construction puisque 2 écoutes différentes ne vont pas forcément provoquer le même plaisir, d'où ces notions de référents diachroniques et référents synchroniques.

Les référents diachroniques sont les évènements qui ont construit l'individu, c'est son éducation musicale et sociale en général, plus simplement ce sont les histoires dans l'Histoire qui ont fait que cette personne est ce qu'elle est.

Les référents synchroniques c'est en gros l'état d'esprit dans lequel se trouve la personne au moment où elle écoute l'oeuvre.

Problématique
On voit intuitivement l'importance de l'influence des référents diachroniques et synchroniques dans le projet du compositeur et dans l'interprétation de l'auditeur. Mais comment quantifié des choses dont les individus eux-mêmes n'ont pas forcément consciences ?

Les premiers référents diachroniques auxquels on pense concerne bien sûr "la culture musicale" de la personne : Un groupe, un style, un instrument... Une nouvelle musique écoutée va être inconsciemment comparée à celle qu'on aime et celle qu'on aime pas. Ces référents sont donc musicaux. Mais le fait d'avoir eu un grand frère sympa qui vous a fait découvrir tel artiste ou le fait que pour vous, tel style musical est lié à tel mode de pensée, le fait que vous soyez quelqu'un de calme ou hyperactif, ont forcément une influence sur vos goûts et ces référents là ne sont pas musicaux.
Quant aux référents synchroniques, ils sont influencés par des évènements qui se sont passés avant le moment de l'écoute. Ils sont donc influencés par d'autres référents diachroniques et ils deviendront peut-être eux même référents diachroniques pour une prochaine oeuvre selon le plaisir ou le déplaisir ressenti au moment de la première écoute.

Un autre problème est que le chercheur devient lui même auditeur lorsqu'il commence a étudié la situation. Ayant lui même ses propres référents il va être forcément victime de ses interprétations. C'est le cas de toutes les tentatives d'explications de sens qui ont été faites avant la constitution de cette nouvelle science, la sémiologie (vers 1900).

Il faut donc avant de se livrer a une étude scientifique dégager quelques paramètres quantifiables pour stabiliser cette relativité absolue dans laquelle nous plonge le jeu des référents et trouver des modéles qui fonctionnent quelque soit ces référents. Plusieurs chercheurs dont Fred Lerdahl (Années 1990/2000) ont travaillé sur ce thème mais c'est plus compliqué. Un exemple quand même :
Musicae Scientiae
Fred Lerdahl, Yves Potard

Si je peux me permettre...
Vu les diplômes, prix et récompenses de Mr Nattiez, je n'oserais aucune remarque ou pire critique mais mes bricolages fractales (Et oui, on a les référents qu'on peut...) m'ont fait pensé que l'élément fractale que j'introduisais dans le processus de composition élargissait la tripartition en une quadripartition.

Il semble que la relation auditeur/oeuvre soit en ce moment privilégiée. Il est en effet plus facile de vérifier la validité des modèles auprès des auditeurs qui sont beaucoup plus nombreux. Il est beaucoup plus difficile de constuire des modèles à partir de peu d'exemples, c'est un problème de statistique.

Voici donc le schéma complété et dont l'éléments 'auditeur' a été enlevé, car à mon avis  les influences de algorithme sur l'impression éprouvée par l'auditeur sont très indirectes.

Algorithme, créateur, oeuvre

Le schéma comporte toujours 3 éléments mais est beaucoup plus simple, en effet, ni l'algorithme ni l'oeuvre n'a à supporter d'influence. Reste à définir la relation qui lie le créateur à l'oeuvre.

L'intéret, me semble t il, de ce schéma est à venir car il faudrait construire un logiciel simple à utiliser qui permettrait sans notion musicale de composer des oeuvres. N'importe qui pourrait produire de la musique (après avoir appris le fonctionnement du logiciel) et le problème de la quantité de créateurs pourrait être dépassé. De plus les algorithmes proposés au créateur n'ont aucun lien avec un style de musique existant, ils sont donc neutres
comme l'oeuvre mais d'une autre manière.

Comme je l'ai déja dit les suites musicales générées par un algorithme fractale n'ont pas de sens, composer une musique fractale c'est justement donner du sens à ce qui à priori n'en a pas. 2 créateurs, ou, le même créateur à 2 moments différents, feront des musiques différentes à partir d'un même algorithme. Nous sommes donc au coeur du fait de 'production' au sens de la sémiologie de la musique.

C'est tout pour aujourd'hui.
Warc'hoaz ' vo gwelloc'h
N'hésitez pas à me laisser un mot.
Kenavo.
14/01/2007








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